Le droit européen et le filtrage a priori des réseaux sociaux

Un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne en date du 16 février 2012, en réponse à une question préjudicielle d’une juridiction belge, est venu confirmer que la directive 2000/31/CE, dite Directive sur le commerce électronique, « interdit aux autorités nationales d’adopter des mesures qui obligeraient un prestataire de services d’hébergement à procéder à une surveillance générale des informations qu’il stocke ».

Les exploitants de réseaux sociaux ne sauraient donc se voir contraints à mettre en place des systèmes de filtrage général pour prévenir la publication par leurs utilisateurs de contenus illicites.

Leur faire supporter une telle obligation reviendrait pour la Cour à leur imposer un rôle de surveillance active et permanente, ce qui constituerait une atteinte caractérisée à la liberté d’entreprise, puisqu’elle obligerait les exploitants à adopter, à leurs seuls frais, des systèmes informatiques complexes, coûteux et permanents.

La Cour se réfère par ailleurs à deux autres fondements, plus inhabituels dans le cadre des litiges portant sur la responsabilité allégée des hébergeurs. La Cour souligne en effet que les effets d’une injonction enjoignant de mettre en place un système de filtrage ne se limiteraient pas aux exploitants : la mise en œuvre d’un tel système de filtrage serait également susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux des utilisateurs de ces services, à savoir à leur droit à la protection des données à caractère personnel ainsi qu’à leur liberté de recevoir ou de communiquer des informations, droits protégés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

D’une part, le filtrage envisagé impliquerait l’identification, l’analyse systématique et le traitement des informations relatives aux profils créés sur le réseau social. Or, la plupart de ces informations doivent être considérées comme des données à caractère personnel, dans la mesure où elles permettent, en principe, d’identifier les utilisateurs.

D’autre part, le filtrage risquerait de porter atteinte à la liberté d’information : le système risquerait en effet de ne pas distinguer suffisamment le contenu illicite du contenu licite et, par conséquent, d’entraîner le blocage de communications à contenu pourtant licite.

Par le biais de cette réponse à question préjudicielle, la Cour de Justice de l’Union Européenne interdit aux juges nationaux d’adopter des injonctions obligeant les prestataires de services d’hébergement à mettre en place de tels systèmes de filtrage généralisé, qui ne respecteraient pas l’exigence d’un juste équilibre entre les droits de propriété intellectuelle d’une part et la liberté d’entreprise, le droit à la protection des données à caractère personnel et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations d’autre part.